18 novembre 2024
Le Ma, l’art de l’espace et du plein est un concept fondamental de l’esthétique japonaise; il va bien au-delà de la simple notion de vide, il devient source d’harmonie. Le kanji « Ma » s’écrit d’un soleil entouré d’une porte. Il représente l’espace entre les objets, les moments entre les événements et le silence entre les sons. Dans le design d’intérieur, cette philosophie met en avant une relation harmonieuse entre les éléments visibles et invisibles, créant des environnements paisibles et équilibrés. Bien que le Ma partage certains points communs avec le minimalisme, notamment l’importance de la simplicité et de l’intentionnalité, il s’en distingue par son approche profondément spirituelle et contextuelle, où le vide est porteur de sens.
Le Ma et le minimalisme partagent une même valorisation du dépouillement. Cependant, si le minimalisme occidental tend à se focaliser sur la suppression de l’excès, souvent dans une quête de fonctionnalité, le Ma privilégie l’équilibre entre vide et plein. Dans une maison inspirée par le minimalisme, on cherchera à optimiser l’espace en éliminant le superflu, alors qu’une maison pensée selon le Ma accordera une place au vide pour ce qu’il communique : un espace pour respirer, méditer et contempler.
Dans un espace guidé par le Ma, une attention particulière sera portée à la disposition des objets, au jeu de lumière et à la relation entre les meubles et leur environnement. Le vide dans le Ma n’est jamais perçu comme un manque, mais comme un équilibre subtil qui met en valeur ce qui l’entoure, bien au delà du dépouillement, c’est la valorisation de l’espace et de sa lumière sur les objets présents qui est mis en avant.
L’équilibre des proportions est un autre fondement du Ma. Chaque élément d’un intérieur doit être en harmonie avec son environnement. Un meuble trop imposant ou un éclairage trop intense risquent de rompre cet équilibre. Par contraste, des lignes épurées et des proportions réfléchies instaurent une ambiance apaisante.
La lumière naturelle, essentielle dans les deux approches, joue un rôle central dans la création d’ambiances calmes et apaisantes. Les intérieurs minimalistes utilisent souvent des ouvertures larges et des matériaux réfléchissants pour maximiser la luminosité, tandis que le Ma privilégie une lumière diffuse et douce, comme celle qui passe à travers des panneaux shoji. Ces nuances créent des expériences sensorielles différentes : le minimalisme tend à sublimer l’efficience, tandis que le Ma invite à la contemplation.
Appliquer le Ma dans des espaces va les enrichir en leur apportant une dimension plus poétique. Prenons l’exemple d’un bureau. Un bureau minimaliste classique pourrait se contenter d’un plateau, d’une chaise ergonomique et de peu de décoration. En intégrant le Ma, on pourrait jouer avec l’espace autour du bureau, en orientant la pièce vers la lumière pour créer une interaction avec l’extérieur et en ajoutant une œuvre d’art subtilement placée qui dialogue avec le vide environnant. Mais surtout on choisirait avec un trés grand soin le bureau dans une belle matière, il pourrait être porteur d’histoire, car le Ma cherche à mettre en valeur l’existant grace à des belles matières ou une décoration particulièrement élégante.
Le minimalisme et le Ma partagent une même recherche d’élégance et de simplicité, mais ils diffèrent dans leur manière de concevoir le vide. Là où le minimalisme peut parfois sembler strict ou rigide, le Ma apporte une fluidité et une chaleur, transformant les espaces en véritables invitations à la sérénité.
En adoptant le Ma on introduit une dimension émotionnelle et spirituelle dans nos intérieurs, mais cela peut aussi influencer les relations inter-personelles, l’urbanisme, ou même la philosophie. Le Ma est partout dans la culture japonaise et dans sa relation à l’espace. Ce mariage entre deux visions complémentaires peut aboutir à des espaces non seulement beaux et fonctionnels, mais aussi empreints de sens, où chaque élément y compris le vide trouve une place harmonieuse.
Pour aller plus loin, lisez le livre « Ma et Aïda, Des possibilités de la pensée et de la culture japonaises » aux éditions Picquier